La Croix : Dans votre livre, vous écrivez que Cristiano Ronaldo n’était pas destiné à devenir une des personnalités les plus médiatisées de la planète. Pourquoi ?
Thierry Marchand : À l’origine, il ne faut jamais oublier que Cristiano Ronaldo n’était pas un enfant désiré. Il n’a eu de cesse, depuis sa naissance, de prouver à ses parents et notamment à sa mère, qu’il méritait d’exister et qu’il allait leur montrer qu’ils pouvaient être fiers de lui.
Après, il a tout fait pour devenir ce qu’il est. C’est le résultat d’années de travail et de sacrifices. Il a quitté l’île de Madère pour Lisbonne, en quittant sa famille, à l’âge où d’autres entrent au collège. Il a enduré beaucoup de souffrances, beaucoup de brimades et de moqueries mais n’a jamais perdu de vue son objectif : être le meilleur du monde. À la fois, il n’était pas prédestiné à ça et en même temps, il n’avait que cet objectif-là.
Malgré son talent, son palmarès et sa remarquable longévité (il a 39 ans), Cristiano Ronaldo n’a jamais fait l’unanimité dans le monde du football. Comment l’expliquer ?
T. M. : La première des raisons, c’est sans doute son comportement. Sur le terrain, il agace. Il veut tellement montrer que c’est le meilleur qu’il est obnubilé par ça. Les attitudes peuvent agacer le public, voire parfois ses propres coéquipiers. Dans le football professionnel, il y a des ego partout et, si lui en a un sans doute démesuré, les autres autour en ont un aussi. La chance qu’il a eue, c’est qu’il était très souvent accompagné de grands attaquants sans doute plus modestes, comme Wayne Rooney à Manchester United ou Karim Benzema au Real Madrid.
La deuxième raison, c’est son duel à distance historique avec Lionel Messi. On ne verra pas un duel pareil avant les cinquante prochaines années. Les deux sont de la même génération (Lionel Messi a deux ans de moins). Ils ont grandi dans le football ensemble. Ils ont tous les deux gagné les plus beaux trophées, ils ont joué longtemps dans le même championnat… Tout cela a créé autour d’eux des communautés de fans. Dès lors, pour certains, c’est une légende, quand pour d’autres, c’est l’antithèse du héros.
Après son exil en Arabie saoudite en 2022, dans le club d’Al-Nassr, certains pronostiquaient une fin de carrière à brève échéance. Est-il encore légitime au sein de l’équipe portugaise ?
T. M. : Complètement. Il est plus légitime que jamais, de par son aura, son leadership, son vécu, son talent évidemment. Bien sûr, il prend de l’âge et joue dans un championnat mineur désormais, mais il reste hors-norme et il est difficile de se passer d’un joueur hors-norme.
Ne risque-t-il pas de partir trop tard ?
T. M. : C’est la vraie question. Il a tellement envie de performer, d’en rajouter toujours un peu plus… Tant qu’il n’y aura pas un échec cuisant pour le Portugal comme une élimination dès le premier tour, lors d’une grande compétition, il se dira peut-être qu’il a encore un rôle à jouer. Lors de la dernière Coupe du monde au Qatar, le Portugal a fait un très bon début de mondial. Ils jouent moins bien sur un match couperet contre le Maroc et l’aventure s’arrête là. Mais dans sa tête, il se dit qu’à part ce match, l’équipe joue bien et qu’il n’a pas de raison d’y renoncer.
En réalité, je ne sais pas ce qui va l’arrêter. Je ne sais pas s’il est lui-même en capacité de se dire « il faut que j’arrête ». Tant que son corps ne lui dit pas d’arrêter, ça sera compliqué pour lui de se convaincre.
Pensez-vous que son avenir s’inscrira dans le football après sa carrière de joueur ?
T. M. : Je n’en suis pas convaincu. Peut-être que Cristiano Ronaldo aura un destin à la David Beckham en investissant en tant que propriétaire de club, mais je ne le vois pas du tout entraîner. Il n’a pas du tout le caractère pour ça. Pour le faire, il faut faire preuve d’humilité et ce n’est pas vraiment dans ses cordes. À mon sens, Cristiano Ronaldo en tant qu’entraîneur, ça serait sans doute voué à l’échec, comme ce fut le cas d’un Diego Maradona. Ils sont un profil à part dans le monde du football.
(1) Cristiano, Flammarion, 2022, 272 p., 19,90 €