L’ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a bénéficié mardi d’une libération sous caution, dans une affaire de lèse-majesté à haute sensibilité politique dans un royaume habitué aux crises.
Le milliardaire âgé de 74 ans a quitté un tribunal de Bangkok après le versement d’une caution de 500.000 bahts (12.600 euros), ont indiqué les juges dans un communiqué.
L’ex-dirigeant, qui a fui le pays en 2008 pour échapper à d’anciennes condamnations ayant trait à ses années au pouvoir (2001-2006), n’a pas le droit de quitter la Thaïlande, sauf en cas d’accord de la justice, est-il précisé.
La prochaine audience est prévue le 19 août.
Ces poursuites rappellent de vieilles fractures en Thaïlande, entre le clan Shinawatra, soutenu par les milieux ruraux et pauvres du Nord et du Nord-Est, et l’establishment militaro-royaliste de Bangkok, attaché au statu quo.
Elles ont ouvert un nouveau chapitre d’incertitudes dans un royaume secoué par des crises cycliques, entre manifestations géantes parfois émaillées de violences, interventions de l’armée et décisions de justice contestées.
Le principal parti d’opposition et le Premier ministre, issu des rangs du mouvement des Shinawatra, font aussi l’objet de poursuites en justice, qui parasitent les débats et maintiennent sous pression le bloc historiquement hostile aux élites conservatrices.
L’inculpation pour lèse-majesté de Thaksin Shinawatra se base sur des déclarations tenues en 2015 lors d’une interview en Corée du Sud, quelques mois après un putsch de l’armée, dirigé contre sa soeur, Yingluck Shinawatra.
Etouffer toute voix contestataire
Thaksin Shinawatra nie les accusations, a assuré mardi son avocat Winyat Chatmontree.
L’ancien dirigeant n’a eu « aucune intention d’évoquer des personnes protégées par l’article 112 (qui régit la diffamation royale, NDLR) », a insisté son conseil.
Il est également poursuivi pour avoir enfreint la loi sur les crimes informatiques, qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison.
En Thaïlande, la loi sur la lèse-majesté, considérée comme l’une des plus sévères au monde, expose les accusés à des peines allant de trois à quinze ans d’emprisonnement.
Ce texte a été détourné pour étouffer toute voix contestataire à des fins politiques, dans la foulée des manifestations géantes de 2020 et 2021 réclamant une refonte en profondeur de la monarchie, ont dénoncé ces dernières années des groupes de défense des droits humains.
Depuis les contestations populaires, plus de 270 personnes ont été poursuivies pour lèse-majesté, selon un collectif d’avocats thaïlandais.
Thaksin Shinawatra est retourné en Thaïlande en août dernier, au prix d’un pacte secret avec ses anciens rivaux, selon des experts.
A peine rentré de quinze années d’exil volontaire, il a bénéficié d’une grâce royale qui a réduit sa peine de prison de huit à un an. Mais il n’aura passé en tout que six mois en détention, en très grande partie dans un hôpital de Bangkok en raison de son état de santé et de son âge.
« Tampon »
En échange, le parti contrôlé par sa famille, Pheu Thai, aurait accepté de former une coalition gouvernementale avec des formations pro-armée, au risque de trahir certains de ses engagements pris durant la campagne.
Thaksin Shinawatra se situe « quelque part entre un stratège politique, et un otage », a estimé l’analyste politique Napon Jatusripitak. « Il continue d’être utilisé comme tampon par l’establishment contre les mouvements populaires pro-démocratiques venant de la base », a-t-il poursuivi.
Il reste une figure influente, bien que Pheu Thai ait été dépassé par Move Forward, au programme plus radical, comme principal parti d’opposition.
Move Forward, vainqueur des dernières législatives, est mené de dissolution, dans une autre affaire devant la Cour constitutionnelle, une instance mêlée à plusieurs des dernières crises politiques qu’ait connu le royaume.
Le mouvement pro-démocratie est accusé d’avoir promis durant la campagne de vouloir réformer la loi de lèse-majesté – une action qui, elle aussi, tombe sous le coup de la loi de lèse-majesté.
La Cour constitutionnelle, qui avait dissous en 2007 l’ancien parti de Thaksin Shinawatra, a indiqué mardi qu’elle allait se réunir à nouveau le 3 juillet pour discuter de l’affaire.
D’autres délibérations sont attendues le 10 juillet au sujet du Premier ministre Srettha Thavisin, accusé d’avoir violé des règles d’éthique en nommant un ministre condamné par la justice. Le dirigeant risque l’éviction.