C’est une première. En Autriche, Marlene Engelhorn, la millionnaire et militante autrichienne d’une taxation des plus riches, va redistribuer son héritage de 25 millions d’euros à plus de 70 organisations choisies par un collectif de 50 citoyens qui a choisi mardi 18 juin la destination des fonds.
La riche héritière germano-autrichienne, qui s’est fait connaître pour son plaidoyer en faveur de l’impôt sur l’héritage, avait délégué à ce comité inédit la répartition de son patrimoine, reçu à la mort de sa grand-mère. Dans un communiqué, elle s’est félicitée de « la redistribution, en accord avec les valeurs démocratiques, d’une grande partie » de son argent.
Descendante de Friedrich Engelhorn, le fondateur du groupe pétrochimique et pharmaceutique allemand BASF, par sa grand-mère Traudl Engelhorn-Vechiatto, la trentenaire a hérité en 2022 de 25 millions d’euros. C’est une fraction minime de la fortune de son aïeule, alors estimée à 3,8 milliards d’euros par le magazine américain Forbes, notamment grâce à la vente d’une autre entreprise familiale, Boehringer Mannheim, aux laboratoires Roche, en 1997.
« L’argent rend névrotique »
Cette succession coïncide avec la parution de son livre Geld (« Argent », en allemand, non traduit), qui dénonce le côté « non démocratique » des « grandes fortunes ». « L’argent rend névrotique », estime celle qui a fondé l’association « Tax me now » en Allemagne en 2021, afin de faire pression pour une plus forte imposition des riches.
« J’ai hérité une fortune, et donc un certain pouvoir, sans rien avoir fait pour le mériter et l’État ne veut même pas prélever des impôts », dénonce la jeune femme, aux cheveux bruns courts et aux yeux pétillants, qui rêve de travailler dans l’édition, dans un communiqué publié après la succession.
Celle qui a grandi à Vienne dans une « maison beaucoup trop grande » et a étudié au lycée français rappelle que ce capital a survécu à la Seconde Guerre mondiale, période pendant laquelle les frères Engelhorn ont adhéré au Parti national-socialiste. « Ma famille ne s’est pas couverte de gloire », a ainsi déploré l’étudiante en littérature allemande dans un entretien au journal allemand Der Spiegel.
Une activiste pro-impôt
La nouvelle multimillionnaire juge alors « injuste » qu’une telle fortune lui échoie, dans une démocratie où subsistent de fortes inégalités. « La plupart des gens luttent pour finir les mois avec un emploi à temps plein. Ils paient des impôts sur chaque euro qu’ils gagnent de leur travail », assure Marlene Engelhorn. En Autriche, où l’impôt sur la succession a été aboli en 2008, 1 % de la population possède 40 % des richesses, selon les dernières statistiques de la Chambre du travail.
Tout cela a « des conséquences sur la structure sociale, le système politique et le paysage médiatique », déclare-t-elle au quotidien Der Standard, regrettant que les inégalités de répartition des richesses permettent à quelques-uns de s’octroyer des pouvoirs sans mandat démocratique. « Je considère que c’est un échec de la politique ; et si la politique échoue, les citoyens doivent s’en saisir eux-mêmes », explique la jeune femme dans un communiqué. Et d’ajouter : « Si les hommes politiques ne font pas leur travail et ne redistribuent pas l’argent, alors je dois redistribuer ma fortune moi-même. »
10 000 citoyens sollicités
Aussitôt dit, aussitôt fait. Marlene Engelhorn demande que 90 % de sa fortune soit redistribuée et crée pour cela un « Conseil pour la redistribution ». Elle envoie une lettre à 10 000 citoyens autrichiens. Cinquante d’entre eux, sélectionnés pour représenter fidèlement la société autrichienne, se rassemblent entre mars et juin 2024 à Salzbourg au cours de six séances de travail, tous frais payés.
Les participants ont choisi 77 organisations qui recevront des fonds allant de 40 000 € à 1,6 million. Les bénéficiaires vont de l’association Attac à divers groupes de réflexion, en passant par des associations de protection de la nature ou de soutien aux sans-abri.
« Marlene Engelhorn pourrait bien relancer le débat relatif à l’énorme concentration de la richesse et à l’absence d’un véritable impôt sur les successions et la fortune en Autriche », annonce ainsi le journal autrichien de centre droit Kurier.
C’est justement ce qu’espère la Viennoise, engagée dans le réseau international « Millionaires for Humanity », lancé lors de la crise du coronavirus. Au programme : instaurer un impôt de 1 % pour les riches afin de lutter contre la pauvreté et le changement climatique, en cherchant à atteindre les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies. L’activiste fait également partie de l’European Citizens’Initiative (Initiative citoyenne européenne) qui veut faire vivre le débat sur la taxation des riches au Parlement européen.