Dans le sillage du scrutin européen, la dissolution de l’Assemblée nationale a été l’occasion pour le RN de confirmer sa forte dynamique électorale. Mais géographiquement, l’intensité du vote RN lors de ces élections se décline selon une opposition est-ouest traditionnelle, avec des zones de force dans ses bastions du nord-est (région Hauts-de-France, ancienne région Champagne-Ardenne, auxquelles s’agrègent les confins franciliens) et du littoral méditerranéen se connectant à la vallée de la Garonne.
À l’inverse, le vote RN fut nettement inférieur à sa moyenne nationale dans la « diagonale bucolique », espace courant du sud du Massif central à la pointe de la Bretagne. Autres territoires habituels de basse pression frontiste ressortant nettement sur la carte : l’extrême pointe sud-ouest de l’Hexagone, une bonne partie du massif alpin, sans oublier l’agglomération francilienne, ainsi que les principales métropoles françaises.
Extrême focalisation sur l’immigration et la délinquance
Une autre constante de la géographie du vote RN s’est de nouveau vérifiée lors de ce scrutin : sa très inégale intensité selon le nombre d’habitants dans la commune : plus de 40 % dans les communes de 2 000 habitants et moins, et des scores nettement inférieurs à sa moyenne dans les grandes métropoles.
Les sondages préélectoraux réalisés à quelques jours du premier tour apportent des enseignements sur les motivations de vote des différents électorats. Si les électeurs du RN partageaient avec le reste de la population une forte sensibilité à la question du relèvement des salaires et du pouvoir d’achat, ils se distinguaient toujours et encore par une extrême focalisation sur la question de l’immigration et la délinquance.
La forte similitude entre la carte de l’indice IPI (pour Immigration, Pauvreté, Insécurité), que nous avons calculé en combinant ces différentes variables, et la carte du vote RN confirme que c’est la juxtaposition d’une criminalité élevée, d’un niveau de pauvreté et d’inégalités important et d’une présence d’une population issue de l’immigration significative dans un département donné qui constitue, dans la plupart des cas, le terreau le plus propice à l’essor du vote RN.
Bien entendu, d’autres paramètres entrent en jeu lorsque l’on cherche à affiner l’analyse et que l’on change d’échelle géographique. Le capital résidentiel – la valeur et la désirabilité du lieu dans lequel réside un individu – nous semble ainsi particulièrement pertinent pour analyser le vote RN à une échelle géographique plus fine que l’échelle départementale.
À l’instar du capital culturel et du capital économique, qui peuvent se mesurer synthétiquement par des indicateurs comme le niveau de diplôme et le niveau de revenu ou le montant du patrimoine, le capital résidentiel dispose lui aussi de son mètre étalon : le prix du mètre carré (à l’achat comme à la location). Celui-ci va certes varier en fonction du type de bien immobilier (maison ou appartement, neuf ou ancien), mais plus fortement encore selon la localisation du bien en question.
Dans une même ville, le prix du mètre carré va parfois fortement fluctuer d’un quartier ou d’un microquartier à un autre. À l’échelle plus vaste du département, la même structuration du marché s’opère souvent avec des prix de l’immobilier qui sont plus élevés dans le centre-ville et qui déclinent ensuite progressivement à mesure que l’on s’en éloigne. Se dessine une France avec des citoyens disposant d’un capital résidentiel élevé ou faible à l’instar du capital culturel ou du capital économique, chers à Pierre Bourdieu.
Les électeurs RN de la France rurale et des petites villes
Or, le statut de « dominés » dans le champ résidentiel n’est pas sans effet sur les comportements électoraux de ces populations. Ainsi, lors du dernier scrutin législatif, comme pour toutes les élections depuis la fin des années 1990, on constate que le niveau de vote RN est indexé sur un « gradient d’urbanité », c’est-à-dire la distance qui sépare la commune étudiée de l’agglomération de plus de 100 000 habitants la plus proche.
Au plan national, l’intensité du vote RN est la plus faible dans les zones situées à moins de dix kilomètres du centre d’une agglomération de 100 000 habitants. Puis, au fur et à mesure que l’on s’éloigne du sommet de la hiérarchie urbaine et de ces communes – dont le capital résidentiel des habitants est tendanciellement le plus élevé –, le vote RN monte en puissance alors que le capital résidentiel diminue. Le vote RN se maintient à des niveaux très élevés dans les zones rurales éloignées de plus de cinquante kilomètres d’un centre urbain principal.
Le soutien dont le RN dispose dans cette France rurale et des petites villes semble également renvoyer à deux phénomènes sociologiques importants : l’« empathie de point de vue » et l’« homologie de situation ». Autrement dit, le fait, d’une part, que le RN et ses cadres semblent se soucier des problèmes rencontrés par ces citoyens (insécurité, pouvoir d’achat, etc.) et, d’autre part, que les électeurs puissent s’identifier à un parti ou à ses membres éminents.
Pour les électeurs, le statut de parias, l’hostilité, le mépris de classe ou intellectuel dont sont victimes les représentants du RN renvoient à ce qu’eux vivent également à leur niveau. Ces deux phénomènes s’emboîtent parfaitement avec la géographie du vote RN et les problématiques politiques et sociales rencontrées sur ces territoires.