Il faut aller vite pour Abdou, trois ans et demi: son état se dégrade et une greffe de foie lui sera nécessaire pour survivre. Mais les dons d’organes pédiatriques sont en baisse depuis plusieurs années.
Hospitalisé à Paris, à Necker-Enfants malades (AP-HP), depuis une quinzaine de jours, le petit garçon souffre d’une maladie du foie, responsable d’un gonflement de l’organe qui l’empêche de s’alimenter normalement.
« Le sang circule mal à travers son foie et depuis six mois, sa santé se dégrade doucement », constate la Dr Florence Lacaille, gastro-entérologue pédiatrique à l’hôpital.
Il y a quelques mois, Abdou a été placé sur liste d’attente en vue d’une greffe hépatique. Récemment, face à l’aggravation de son état, les équipes médicales ont demandé à ce qu’il « passe en tête de liste ».
« Malheureusement, il vient de faire une infection avec de la fièvre, donc on va devoir attendre un peu, on ne peut pas envisager une greffe s’il est malade », déplore la Dr Lacaille.
Pour ses parents, qui se relayent à son chevet, l’attente semble interminable. « Les délais sont infernaux », soupire la médecin. « On aurait aimé pouvoir le greffer il y a un ou deux mois déjà ».
Opposition parentale
L’an dernier en France, 260 nouveaux patients pédiatriques étaient inscrits en attente d’une greffe, dont 118 pour le foie, 111 pour le rein, 25 pour le cœur et moins de 10 pour le poumon.
Les enfants sont toujours prioritaires sur les adultes quand un organe est adapté à leur morphologie mais l’attente reste encore trop longue, souligne l’Agence de biomédecine, qui pilote l’activité.
En 2023, 18 enfants sont décédés faute de greffon compatible à temps.
L’an dernier, la France a enregistré 48 donneurs pédiatriques, dont 13 avaient moins de cinq ans. Depuis 2018, le nombre de donneurs pédiatriques prélevés d’au moins un organe a baissé de 31%.
La baisse s’explique en partie par une augmentation des taux d’opposition parentale au prélèvement, sans raison connue. Dans le cadre du don pédiatrique, il faut obtenir le consentement explicite des deux titulaires de l’autorité parentale. Ce taux atteignait 47% en 2023 contre 30% en 2011.
D’où l’importance, insiste l’Agence de biomédecine, de « sensibiliser les parents quand tout va bien, quand la question ne se pose pas, pour anticiper le cas échéant ».
« Il est évidemment très difficile d’envisager le don au moment critique de la mort de son enfant », reconnaît la Dr Charlotte Roy, pneumologue à Necker. « Quand on est parent, c’est bien de se demander en amont: serais-je capable de donner ses organes s’il était diagnostiqué en état de mort encéphalique? Le moment venu, la décision est alors plus facile à prendre ».
« Seule solution »
« La greffe est la thérapeutique qu’on propose lorsqu’il n’y a plus aucune alternative curative conventionnelle », rappelle-t-elle. « Et on ne propose pas la greffe à un patient qui ne serait pas capable de survivre à cette épreuve ».
La jeune docteure n’oubliera jamais le jour où elle a annoncé aux parents de Julie, alors âgée de 14 ans, que des poumons étaient disponibles pour elle.
La jeune fille, atteinte d’une hypertension artérielle pulmonaire, se trouvait dans le coma à l’hôpital. C’était il y a deux ans. « La seule solution pour qu’elle vive était la greffe », se souvient sa mère, Ketty, avec émotion.
Avant de savoir qu’un donneur compatible avait été trouvé, elle se remémore s’être mise « à la place des parents qui avaient perdu leur enfant et à qui on demandait de donner ses organes ». « A l’époque, si ça avait été moi, je n’aurais sans doute pas accepté, j’étais égoïste ».
Depuis la greffe qui a sauvé la vie de sa fille, elle a changé d’avis et veut faire connaître l’importance du don d’organes. « Maintenant, on sait tous qu’on serait potentiellement donneur », sourit-elle.
Sans pouvoir connaître la famille du donneur de Julie, elle lui a adressé une lettre, de façon anonyme, pour la remercier. « Je me suis aussi excusée pour leur enfant qui, lui, n’a pas pu être sauvé ».