Auchel, un vendredi matin d’octobre. Le soleil éclatant ne parvient pas à masquer le délitement de cette ancienne cité minière du Pas-de-Calais, où le chômage frôle les 24 %. « La commune met son espoir dans notre projet, car c’est là où il y a le plus de problématiques sociales », énonce Auguste Evrard, haute stature, cravate bleue assortie à ses yeux. Ici, le nouveau député de 24 ans est en terrain conquis. Depuis les dernières élections législatives, dix circonscriptions du Pas-de-Calais sur douze sont aux mains de son parti, le Rassemblement national. Mais l’élu originaire d’un village près de Saint-Omer souffre d’un handicap majeur : il n’est pas connu.
Pour y remédier, il s’élance aujourd’hui dans une tournée des petits commerçants, insigne de l’Assemblée nationale épinglé au veston. À la boulangerie, la gérante peine à le reconnaître. Elle l’a pourtant rencontré quelques jours plus tôt, car il souhaite installer sa permanence parlementaire dans le local attenant. « C’est pour quel parti déjà ? Et ça sert à quoi en fait ? », demande-t-elle. Visiblement embarrassé, Auguste Evrard la noie de paroles qu’il veut rassurantes : « C’est un local pour accueillir les personnes qui ont des problématiques, les écouter. Attention, ce n’est pas une permanence politique, mais parlementaire. » Puis il finit par lâcher : « Mon parti, c’est le RN. » Ce n’était pas la peine de s’inquiéter. « C’est très bien, sourit la boulangère. On va vous ramener un peu de monde ! »
Politisés très jeunes
Auguste Evrard est l’un des neuf députés RN de moins de 30 ans élus en juillet. Le chiffre n’est pas anodin car, tous partis confondus, ils ne sont que 21 à être aussi jeunes dans l’hémicycle. À quoi ressemblent ces nouvelles recrues ? Pour le comprendre, nous avons rencontré cet élu de la 8e circonscription du Pas-de-Calais, ainsi que Julien Limongi (4e circonscription de Seine-et-Marne) et Manon Bouquin (4e circonscription de l’Hérault). Premier constat : ces femmes et hommes politiques ont plus de points communs que de différences.
« Quand on est jeune et qu’on a envie d’une impulsion politique, on ne va pas voir du côté des Républicains. »
Sur leur parcours, d’abord. Tous trois se sont engagés politiquement jeunes, très jeunes. Dès 15 ans pour Julien Limongi, qui s’est ensuite éloigné du mouvement « car c’était mal vu à Sciences Po Toulouse » où il étudiait, avant d’y retourner en 2022. « Quand on est jeune et qu’on a envie d’une impulsion politique, on ne va pas voir du côté des Républicains, mais du RN », souligne-t-il.
À 19 ans pour Auguste Evrard, qui a viré frontiste après s’être un temps engagé au sein de La France insoumise (LFI). « Je viens d’une famille modeste qui votait socialiste par tradition, raconte-t-il en dévorant une carbonade flamande. J’ai ouvert les yeux sur l’insécurité en étudiant à Lille. J’avais peur d’aller à l’université à cause du quartier. » Peut-il citer un événement en particulier ? Il élude : « Tout ça est lié à l’immigration incontrôlée. Et aux gauchistes bourgeois qui bloquaient la fac. »
Pour Manon Bouquin, l’élément déclencheur, à 23 ans, a été l’attentat contre Charlie Hebdo. « Marine Le Pen était la seule qui parlait des dangers de l’islamisme radical », explique-t-elle. L’étudiante en histoire s’est ensuite impliquée sans réserve dans le parti, devenant l’assistante parlementaire de l’eurodéputée France Jamet, avant d’elle-même se présenter aux législatives de 2022 et 2024.
Une ascension fulgurante
C’est une autre caractéristique commune de ces nouveaux députés : leur ascension politique a été rapide, voire fulgurante. Auguste Evrard a lui aussi été candidat en 2022, à peine trois ans après s’être encarté, grâce à sa position d’assistant parlementaire de Philippe Olivier, eurodéputé et beau-frère de Marine Le Pen. Ces jeunes le disent haut et fort, ils doivent beaucoup au parti. « Ils n’ont pas hésité à nous faire confiance et à nous donner une vraie place. On est un peu la génération Bardella », juge Manon Bouquin, en référence au président du RN et à ses 29 ans.
Le RN sait très bien tirer profit de cette jeunesse, qui maîtrise les nouveaux codes du moment. À l’image de Julien Limongi, qui soigne la mise en scène de tous ses déplacements sur les réseaux sociaux. Ceux-ci sont nombreux : avec la fougue de ses 28 ans, il ne rate pas une inauguration ni une rencontre locale.
Le résultat est impressionnant : sur Facebook, X et Instagram, le député est partout. Cela a d’ailleurs été la première consigne donnée par Marine Le Pen à ses poulains : ne pas se contenter de siéger à l’Assemblée nationale, mais être au plus proche de leurs administrés pour mieux se faire connaître. L’implantation locale est en effet l’un des grands défis du RN, en particulier dans des départements comme la Seine-et-Marne où il ne compte que deux députés.
Des élus aux visages peu connus
Entourée de quatre élus frontistes dans l’Hérault, Manon Bouquin bénéficie d’une situation plus favorable. Néanmoins, cette mission de proximité lui tient particulièrement à cœur. Il faut dire qu’elle ne vient pas de la région, ni même du sud de la France. Élevée en banlieue parisienne, elle a été propulsée dans la circonscription par l’intermédiaire de France Jamet, son ex-patronne qui y est bien implantée. Il lui faut donc se former à vitesse grand V sur des dossiers techniques, comme celui des vignerons.
Ce matin, elle a justement rendez-vous avec une quinzaine de viticulteurs de la cave coopérative de Saint-Bauzille-de-la-Sylve. Le cadre est idyllique, au milieu des pins et des garrigues. Mais l’atmosphère est lourde, comme en atteste la pancarte sommairement installée à l’entrée : « Sauvons le monde viticole en danger. »
Carnet et stylo en main, l’élue longiligne écoute attentivement Jean-Michel Sagnier, président de la cave, expliquer : « On accumule les mauvaises récoltes liées aux sécheresses. On n’arrive plus à tirer nos revenus des vignes, d’autant plus que nos charges ne font qu’augmenter. » Manon Bouquin, qui a visiblement bien travaillé le dossier, pose des questions précises, tout en affectant une humilité de bonne élève. « Dites-moi si je dis une bêtise », s’enquiert-elle régulièrement.
« Toi tu en connais beaucoup des députés qui sont venus nous écouter ? »
Après un verre de Sauvignon et un plateau de charcuterie partagé avec les exploitants, la jeune femme d’un naturel timide prend de l’assurance. La voix pleine de conviction, elle déroule la rhétorique du RN : « Vous ne jouez pas à jeu égal par rapport aux autres pays européens, il y a beaucoup trop de normes. Il faut revoir les traités de libre-échange et lutter contre la concurrence déloyale. »
Les viticulteurs semblent conquis par ce discours, qui leur donne le sentiment d’être enfin entendus. Ce n’est pas pour rien que le RN a fait une percée historique dans ce département autrefois appelé « Midi rouge ». Pourtant, leurs intérêts ne semblent pas toujours converger avec ceux défendus par le parti. Un exemple : la main-d’œuvre immigrée, dont ils ont besoin pour leurs vendanges. Sur ce point, Manon Bouquin botte en touche : « Si les Français étaient mieux payés pour faire ce genre de travail, on n’aurait pas besoin de l’immigration. » Mais comment ces vignerons croulant sous les dettes pourraient-ils se permettre d’augmenter les salaires ?
Même vœux pieux du côté de Julien Limongi, élu dans la circonscription la plus vaste et agricole de Seine-et-Marne. Lui est un « gars du coin » comme il le martèle, bien qu’il sillonne le territoire au volant d’une vieille Peugeot 207 immatriculée dans les Bouches-du-Rhône. Il le sait, sa priorité est de soigner les agriculteurs, comme ceux de la Coordination rurale 77 qu’il rencontre cet après-midi-là.
Face au sentiment de « couler dans l’indifférence générale » dont ils lui font part avec véhémence, le jeune élu dynamique et sympathique promet des actions rapides. « Un simple décret suffit à réduire le nombre de contrôles que vous subissez, affirme-t-il. On peut aussi prendre de l’argent quelque part et le mettre ailleurs, tout ça ce sont des choix politiques. » Il prend ainsi l’exemple de la diminution de la contribution française au budget européen prônée par le RN. Et tant pis si celui-ci finance la politique agricole commune, qui bénéficie aux agriculteurs français.
L’un d’entre eux n’est d’ailleurs pas dupe. « Vous n’allez rien faire pour nous, vous allez juste vous battre pour garder votre place ! » Son voisin le calme : « C’est déjà bien qu’il soit là. Toi tu en connais beaucoup des députés qui sont venus nous écouter ? »
Dans l’ex-circonscription de Christian Jacob – ancien président du Centre national des jeunes agriculteurs –, que la droite a tenue pendant soixante-six ans, le RN cueille les fruits d’une lassitude générale envers les autres formations politiques. À la fin de la réunion, Daniel, exploitant, confie ainsi : « J’en ai eu marre des petites combines des élus LR, c’est pour ça que j’ai voté RN. »
Pour ne pas connaître les mêmes revers que ses opposants, le parti a d’ailleurs intimé à ses jeunes élus de rester courtois et polis en toutes circonstances. Face à l’hostilité de la municipalité LR de Provins, Julien Limongi applique cette règle à la lettre. « Cela finira par leur porter préjudice, les mentalités vont changer », prédit-il.
De bons soldats au national
Une courtoisie également de mise au Palais-Bourbon. Finies les diatribes polémiques et les sorties de rang d’antan. Le parti d’extrême droite, dans son objectif de professionnalisation, somme ses nouvelles recrues d’adopter la « stratégie de la cravate ».
« Je suis consciente que j’ai été élue pour l’étiquette RN. »
« Nous avons l’exigence d’être exemplaires, nous ne sommes pas là pour nous faire plaisir ou pour la bagarre », récite Auguste Evrard, tout en fustigeant le comportement de LFI dans l’hémicycle. Lui revendique et apprécie « la discipline de groupe ». « Nous ne sommes pas une somme d’individualités comme dans les autres partis, parler d’une seule voix est précisément ce qui fait notre force », martèle-t-il.
Aucun des députés rencontrés ne voit comme un problème le fait de voter selon ce qui leur est dicté. « Si jamais cela m’arrive de ne pas être totalement en accord, je voterai quand même pour ce que dit le parti car je suis consciente que j’ai été élue pour l’étiquette RN », précise Manon Bouquin.
Julien Limongi, lui aussi, s’en accommode parfaitement. « On nous laisse plutôt autonomes en circonscription. Par exemple, j’ai quasiment carte blanche pour proposer à mon délégué départemental une liste de noms potentiels afin de conquérir la Seine-et-Marne aux municipales de 2026, s’enthousiasme-t-il. Et au national, on a la liberté de suggérer certaines améliorations. »
Un peu plus tôt, au détour d’une conversation, il a pourtant évoqué l’une de ses vidéos qu’il a renoncé à publier au dernier moment. « Je mettais en avant des habitants inquiets du projet de construction d’un centre éducatif fermé dans leur village, qui se trouve à 25 km du premier commissariat. Puis je me suis rappelé que nous sommes plutôt en faveur des centres éducatifs fermés. Il va falloir que je retravaille ça ! » Cela lui aurait-il valu des problèmes de la publier ? « Je ne sais pas, répond le jeune homme, sourire en coin. Quand il y a une ligne directrice, il faut la suivre. Nous, on n’est pas la gauche ! »