Un gouvernement Bardella détricoterait-il la réforme des retraites entérinée dans la douleur l’an dernier ? Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est vilipendé par le Rassemblement national (RN), mais le grand gagnant des européennes et favori des législatives est confus sur ses intentions.

« Nous reviendrons sur cette réforme », a commencé par déclarer le député RN Thomas Ménagé, sur BFMTV lundi, dans la foulée de la dissolution surprise de l’Assemblée. « Il y aura une réforme juste, celle que Marine Le Pen proposait pendant la présidentielle, que nous avons proposée […] lors du débat des retraites. »

« Dans un second temps »

Même son de cloche définitif du côté de Jean-Philippe Tanguy, ce mercredi matin. « Nous abrogerons la réforme de M. Macron », a déclaré le « monsieur Economie » du RN sur Sud Radio, car selon lui, en réalité « elle coûte de l’argent et va en coûter encore plus, plus tard ».

Le président du parti, Jordan Bardella, est nettement moins catégorique. Interrogé mardi sur RTL sur l’abrogation de la réforme, celui qui s’imagine déjà Premier ministre, a commencé par répondre « nous verrons », avant d’expliquer sur France 2, le soir même que la remise en cause viendrait « dans un second temps ».

Pour justifier sa prudence, le président du RN fait valoir que ses priorités sont le pouvoir d’achat, la sécurité et l’immigration. Il argue aussi qu’il va « hériter » d’une situation économique « compliquée » et qu’il faudra d’abord conduire un « audit » des finances publiques et « faire des choix » en cas de cohabitation.

Autant de tergiversations qui laissent penser que le RN n’est plus aussi pressé qu’il le prétendait de faire table rase de la réforme adoptée à coups de 49.3, en dépit de son impopularité. Signe que le sujet n’est pas une priorité, il ne figure pas sur le tract de campagne d’une page que le parti commence à diffuser cette semaine.

Une facture salée mais probablement minoré

Il faut dire que le groupe d’extrême droite avait chiffré ses mesures sur les retraites autour de 10 milliards d’euros. Une facture salée, et probablement minorée. En tout cas difficile à faire passer alors que les finances publiques sont déjà dans le rouge vif, et que le maelström politique menace d’obliger la France à payer plus cher pour s’endetter.

Hasard du calendrier, le Conseil d’orientation des retraites a prévenu lundi que le système des retraites a beau avoir été réformé, il basculera dans le rouge cette année pour enregistrer un déficit plus important que prévu , autour de 14 milliards d’euros en 2030.

La confusion au RN sur les retraites peut aussi s’expliquer par le fait que le parti cherche à débaucher des élus Les Républicains (LR) au-delà de leur ex-patron, Eric Ciotti, débarqué ce mercredi. LR avait soutenu la retraite à 64 ans, même si la cacophonie régnait au sein des députés du groupe.

Positions changeantes

Quand il ne temporise pas, Jordan Bardella assure cependant qu’il est favorable à une amélioration du système de départ en retraite anticipé pour les « carrières longues ». L’objectif serait que ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans « puissent partir avec 40 annuités », à 60 ans, explique-t-il.

Pour mémoire, le gouvernement a consenti en 2023, sous la pression de la droite, à assouplir déjà fortement le dispositif des carrières longues. Il l’a notamment ouvert à ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans. En revanche les bénéficiaires de ce système doivent cotiser 43, voire 44 ans.

S’il évoque régulièrement sur les plateaux la question de ces départs anticipés, le président RN se montre moins disert sur le second volet de la réforme des retraites défendue par Marine Le Pen. Après avoir promis la retraite à 60 ans en 2017, le RN avait mis de l’eau dans son vin en 2022 pour tenir compte des impératifs budgétaires. Il avait alors défendu l’idée d’augmenter, en fonction de l’âge d’entrée dans la vie active, la durée de cotisation nécessaire pour partir avec une retraite à taux plein. Et ce, jusqu’à 42 années de cotisations (contre 43 dans le système actuel).

Une position reprise lors des débats sur les retraites en 2023. Marine Le Pen avait alors toutefois évoqué « un plafond à 62 ans » pour partir à la retraite, alors que la copie initiale du parti prévoyait que ceux qui entraient tard sur le marché du travail partiraient à 67 ans.

Abrogation à gauche

Une chose est sûre, les hésitations du RN prêtent le flanc aux critiques des partis de gauche qui ont formé à la hâte un « front populaire » pour tenter de tirer leur épingle du jeu lors des législatives à venir. Divisés sur de multiples sujets, ils se rejoignent pour défendre l’abrogation de la réforme. « Ce sera l’une des toutes premières décisions du gouvernement du nouveau Front populaire », a promis le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard.

Dans le camp présidentiel, on préfère railler les choix du RN. « Pense-t-on une seule seconde que M. Ciotti, qui voulait allait plus loin que le gouvernement et porter à 65 ans l’âge légal, va gouverner avec M. Bardella, qui promet depuis des années aux Français et aux Françaises, avec Mme Le Pen, de revenir à 60 ou 62 ans », a lancé Emmanuel Macron ce mercredi lors de sa conférence de presse. Et de promettre au passage aux électeurs, de ne pas laisser les retraites décrocher par rapport à l’inflation en cas de victoire de son camp.



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