L’inflation reflue, mais le pouvoir d’achat reste la première préoccupation des Français. Ils sont 45 % à le compter comme une des trois causes ayant motivé leur vote aux dernières élections européennes, devant l’immigration ou l’écologie, selon un sondage de l’institut Elabe pour BFM le 10 juin 2024. À l’approche des législatives des 30 juin et 7 juillet, le gouvernement, le Nouveau Front populaire ou le Rassemblement national font assaut de promesses pour répondre à ces inquiétudes.

Le pouvoir d’achat « a toujours été dans le peloton de tête» des principales préoccupations des Français, explique Philippe Moati, professeur d’économie à l’université Paris Cité. Si la question n’est pas nouvelle, la première place qu’elle occupe en 2024 s’explique par le choc d’une inflation rapide sur les dépenses quotidiennes, mais aussi des causes structurelles et des phénomènes psychosociaux.

Un décalage entre le ressenti et la réalité

Le professeur d’économie pointe d’abord « un décalage entre le ressenti très vif des Français et la réalité des chiffres». Après une légère baisse en 2020, le pouvoir d’achat par unité de consommation a crû de 2,1 % en 2021, baisse à nouveau en 2022, de 0,4 %, avant de repartir à la hausse avec + 0,3 % en 2023 et + 0,5 % au premier semestre 2024, selon les calculs de l’Insee. Il ne diminue donc pas drastiquement, et a même tendance à augmenter.

Le sentiment de dégradation qui dure dans le temps s’explique par le choc initial de la montée des prix. « En 2022-2023, l’inflation moyenne n’a pas passé la barre des deux chiffres, mais est montée très rapidement, et a touché deux dépenses contraintes pour la plupart des ménages : l’énergie puis l’alimentaire, explique Philippe Moati. Des prix auxquels on est confronté au quotidien et que l’on mémorise : la différence on la voit tout de suite. » Les prix de l’alimentaire en particulier ont augmenté de 20 % en deux ans.

L’indexation de certains revenus comme le smic et des aides sociales sur l’inflation n’a pas suffi à résorber ce sentiment, car il y a eu un intervalle de temps entre la hausse des prix et l’augmentation effective des revenus. « C’est suffisant pour créer un ressenti très négatif», ajoute le professeur, également cofondateur de l’Observatoire société et consommation (Obsoco). Par ailleurs, les chiffres moyens d’inflation et de progression du revenu cachent des disparités fortes. L’Insee attribue par exemple l’augmentation du pouvoir d’achat en 2023 aux revenus du patrimoine, dont les simples salariés ne bénéficient pas.

Des causes structurelles

Ce choc est venu renforcer des causes structurelles, bien antérieures à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine. Le pouvoir d’achat progresse en moyenne depuis trente ans, simplement il le fait très lentement, d’environ 1 % par an. Une augmentation que Philippe Moati compare à «la petite aiguille d’une montre : quand on la regarde, elle donne l’impression qu’elle n’avance pas».

Ce phénomène est associé à un effet psychosocial : l’aversion à la perte. Un individu accorde plus d’importance à une perte qu’à un gain du même montant ou d’une même valeur, une sorte « d’effet cliquet ». Ainsi, la question du pouvoir d’achat est très transversale, et ne concerne pas seulement les Français les plus pauvres.

Cet effet se cumule à « uneuniversalisation de la norme de la consommation », explique Philippe Moati : les ménages de classe populaire aspirent de plus en plus à consommer comme les aisés. Qu’ils soient riches ou pauvres, les Français s’abonnent aux plateformes de streaming, ou encore achètent des chaussures de marque et des smartphones dernier cri.



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