En annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anticipées dès le 30 juin, Emmanuel Macron espérait probablement prendre de court la droite et la gauche modérées afin de les rallier dans un « arc républicain » contre les deux « extrêmes » incarnés par le Rassemblement national et La France insoumise. Avec une semaine de délais pour le dépôt des candidatures, le président espérait vraisemblablement que les partis de gauche n’auraient pas le temps d’enterrer leurs divergences et que Les Républicains n’auraient pas le temps d’établir d’arrangements tacites avec le RN.

Sur le plan stratégique, il est difficile d’estimer quelles étaient les présuppositions d’Emmanuel Macron tant cette décision ressemble à un coup de poker. Il me semble cependant que cette décision fait appel à deux thèses structurantes à propos des droites françaises. Premièrement, que l’extrême droite et la droite sont séparées par un « cordon sanitaire » qui empêche toute alliance trop explicite. Deuxièmement, qu’il existe des différences idéologiques profondes entre les différentes droites françaises, qui empêchent leur union s’il n’existe pas une figure suffisamment charismatique et providentielle pour les rassembler.

La fin du cordon sanitaire ?

La question que l’on peut se poser, c’est de savoir si la séquence amorcée par l’annonce du président des Républicains, Éric Ciotti, d’une alliance entre son parti et celui de Marine Le Pen en vue des législatives constitue une rupture suffisamment grave pour remettre en question le caractère structurant de ces thèses. Tout d’abord, la décision de Ciotti est apparue comme la dernière étape dans un long processus de rapprochement idéologique entre la droite et l’extrême droite.

Un rapprochement effectué sur la base d’une forte convergence autour des thèmes de la sécurité et de l’immigration. Mais les vives réactions publiques de plusieurs figures majeures des Républicains (entre autres : Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Gérard Larcher et Florence Portelli), suivies de l’exclusion de Ciotti par le bureau politique du parti, témoignent à l’inverse de la volonté réelle de maintenir une distinction forte entre la droite et l’extrême droite.

Cette distinction peut se lire à plusieurs niveaux, comme l’indique le politiste Émilien Houard-Vial lorsqu’il analyse le discours porté par les militants LR pour se distinguer du RN (1). Au niveau des programmes, les militants revendiquent des positions plus européistes et libérales sur le plan économique. Au niveau de la pratique politique, ils remettent en question les compétences et le sérieux des cadres du RN. Enfin, au niveau des principes, c’est l’héritage collaborationniste et négationniste du FN qui est invoqué comme une tache indélébile.

Dans les faits, la distinction entre la droite et l’extrême droite est menacée à chacun de ces niveaux. La forte présence de l’immigration et de la sécurité dans l’agenda médiatique gomme les différences entre les programmes LR et FN. L’assise électorale de plus en plus faible des Républicains relativise l’importance de leur compétence comme « parti de gouvernement ». La dédiabolisation du RN est en progression continue. En présentant ainsi les choses, l’investiture par le RN d’une soixantaine de candidats issus de LR apparaît comme un coup de ciseaux en plus dans la théorie du cordon sanitaire. Il n’est peut-être pas décisif en lui-même, mais c’est le résultat des législatives qui permettra de trancher la question.

Les Républicains pris en étau

C’est à l’ouvrage classique de René Rémond, Les Droites en France, publié pour la première fois en 1954 et réactualisé en 2005 sous le titre Les Droites aujourd’hui, que la thèse de la pluralité des droites doit son succès. René Rémond distinguait trois droites, qu’il faisait remonter à la restauration : la droite légitimiste, profondément contre-révolutionnaire ; la droite orléaniste, marquée par un technocratisme libéral ; enfin la droite bonapartiste (puis gaulliste), attachée au personnalisme et au fait plébiscitaire.

À partir de cette tripartition, on pouvait comprendre la coexistence des droites dans un parti comme le produit combiné de l’exclusion de la droite nationaliste (RN) et de l’union des droites gaulliste et libérale assurée par des personnalités fortes. Or, ce que traduit toute la crise déclenchée par l’annonce d’Éric Ciotti, c’est le manque d’un leadership clair au sein des Républicains, qui n’arrivent pas à se trouver de chef depuis l’échec de François Fillon en 2017.

Par conséquent, pris en étau entre le Rassemblement national et Renaissance, il n’est pas surprenant que le parti des Républicains continue de s’effondrer par une fuite de ses éléments libéraux vers le centre et de ses éléments les plus radicaux vers l’extrême droite de Marine Le Pen. Il me semble cependant qu’il faille nuancer cette conclusion, qui donne une importance trop grande à la cohérence doctrinale sur les impératifs stratégiques.

C’est ce que l’on a pu reprocher à la tripartition de René Rémond, qui ne permet pas de comprendre le ralliement de Gérald Darmanin à En marche !, ou les propositions libérales du RN. Ainsi, plutôt que d’assister à un moment de clarification idéologique, la dissolution apparaît comme une période d’extension de la compétition pour le leadership des droites hors du parti des Républicains. La question qui est désormais ouverte, c’est de savoir où la pression de cette dissolution conduira les droites à se regrouper.

(1) Émilien Houard-Vial, Parler de l’extrême droite. Registre commun et particularités locales du discours des militants Les Républicains sur le Front national, Pôle Sud, Revue de science politique de l’Europe méridionale, 2021/1 (54), p. 155-169.



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